20 ans à t'attendre

@Andrew Montagu

20 ans à t'attendre.

Vous êtes arrivé le matin même, dans cette immense maison appartenant à votre famille depuis si longtemps que tu n'es pas certain de pouvoir dire à quand cela remonte exactement. Une matinée pour vous installer après que les domestiques soient arrivés l'avant veille pour tout ranger, tout nettoyer et surtout préparer vos chambres mais aussi votre lieu de vie. La maison est agréable et surtout vivable, après avoir été abandonnée pendant plus d'une année dû à la mort soudaine de ton père. Mère n'ayant pas le cœur à revenir ici l'année passée, il est normal que la poussière se soit accumulée ainsi que les revues diverses qui n'ont pas été enlevée du hall d'entrée. Ainsi quand vous êtes arrivé, Amadeus a aussitôt déclaré vouloir la chambre du fond celle avec la plus belle vue sur le parc en face de votre maison et toi, tu n'as pas eu le cœur à lui refuser cette supplique. Ta mère s'est installée comme toujours dans la chambre qui était celle de son mari ainsi que la sienne et toi, tu as retrouvé avec bonheur ton petit coin, le même de ton adolescence si ce n'est la décoration ayant changée et le lit étant deux fois plus grand qu'à l'époque. En bref tout semble être rentré dans l'ordre, n'est-ce pas ?

Alors pourquoi ressens-tu un poids sur ton estomac, lourd et imposant comme si tu avais quelque chose sur le cœur sans pouvoir exprimer ce que c'est ? Parce que tu angoisses et tu le sais bien. Amadeus va faire son entrée dans le monde et si tu n'attends pas un mariage rapidement pour lui, au contraire de toi qui t'est rangé assez vite, allant jusqu'à te marier avant l'âge de trente ans. Une chose quasiment impensable pour un homme qui a le temps et qui souhaite profiter de la vie mais c'était la seule solution pour soigner ton cœur blessé. Tu es heureux avec Jane, autant qu'on peut l'être malgré un premier amour toujours là dans un coin de ta tête, revenant sans cesse comme un rappel d'une chose qui t'a fait sentir vivant pour la première fois. Mais surtout tu angoisses car tu vas reprendre énormément après la mort de ton père. Sa place dans la chambre des Lords oui mais surtout toute la direction de votre famille, les titres, les domaines et surtout l'attention de ceux qui vont attendre votre arrivée dans le monde cette année. Tous les regards seront sur vous ou plutôt sur ton fils et tu sais qu'il sera parfait, parce qu'il est né pour agir ainsi, mais il n'empêche que dans ton cœur de père c'est une angoisse qui tourne et qui ne s'envolera que lorsque le premier bal sera passé.

Ainsi une fois le soir venu et le dîner avalé, tu rejoins le jardin derrière ta demeure pour t'offrir un verre de scotch à l’abri des regards et sous la lueur réconfortante de la lune. La belle saison approche et les nuits sont moins fraîches, il n'empêche que l'endroit est calme si ce n'est le bruit régulier des calèches qui passent dans la rue. Étant donné que la plupart des gens rentrent à Londres pour la saison, c'est l'occasion pour chacun de retrouver des amis alors les visites ne s'arrêtent pas et Mayfair grouille d'aller et venues. Alors que tu avales une première gorgée, ton regard se lance discrètement vers la droite pour observer un instant la fenêtre de l'une des chambres appartenant à ton voisin. Tu sais qui vit ici et tu n'as pas cessé d'y penser malgré tes efforts. Tu as réussi toute la journée à ne pas regarder mais ce soir c'est plus fort que toi, personne ne te voit, il n'y a pas de lumière ainsi tu peux regarder sans crainte qu'on te demande pourquoi tu es si intrusif. Andrew, que tu attendais cet après midi pour vous souhaiter la bienvenue mais qui n'est pas venu. Devrais-tu te vexer ? L'étiquette veut qu'il ne se présente que demain cependant ton côté capricieux, qui ne s'éveille pas souvent, aurait préféré le découvrir devant toi dès l'instant même où tu as quitté ta voiture de voyage. Avec un soupir tu comprends qu'il te faudra attendre demain.

Toc, tic, tic, toc, toc Aussitôt tu relèves la tête en entendant ce bruit, ce code qui n'est pas venu jusqu'à tes oreilles depuis Oxford. Aurais-tu mal entendu ? Rêvé ? Pourtant ça recommence soudainement. Toc, tic tic... Jusqu'à ce que tu te relèves de ton siège de jardin pour marcher dans l'herbe courte, seulement guidé par ce son. Ce bruit qu'on fait en tapant sur des blanches en bois, signe inventé par Andrew et toi pour vous reconnaître quand l'un venait dans la chambre de l'autre, à l'époque où vous n'étiez que des étudiants. « Andrew ? » Dis-tu tout bas sans trop y croire, avant de taper deux fois sur la palissade en bois vernis qui sépare ton jardin de celui des Montagu.

KoalaVolant

@Tiberius De Wellington

L'arrivée de nouveaux voisins était un fait si extraordinairement attendu, que l'ensemble des Montagu trouvaient raison à passer le regard par la fenêtre pour espérer voir passer un visage ou un bout d'étole. Ils partageaient chacun une remarque, les voix excitées par la vision des voitures qui s'arrêtaient dans la rue pour faire descendre les malles et les plantes. Jane avait eut l'intelligence d'esprit de broder, trouvant place dans un fauteuil près de la grande fenêtre du salon, pour pouvoir jeter un regard discret vers la rue sans que personne ne remarque sa curiosité assumée. Elle soupirait parfois, lâcher un rire ou une exclamation fascinée. Andrew savait ce que cela signifiait - les voisins qui leur arrivaient étaient des gens de goût qui avaient sans doute de belles parures et des tableaux à apposer sur le mur de la demeure qu'ils prenaient en possession.
Depuis quelques saisons déjà, personne n'avait pris place dans la maison proche de celle des Montagu - celle-ci encore assez récente pour qu'ils ne prétendent pas connaitre tous les propriétaires des maisons de Grosvenor Square. Pour ceux qu'ils connaissaient, ils les estimaient, profitant de leur retour à Londres pour retrouver le plaisir des mondanités et des thés partagés. Ils cuisinaient, autant le mari que la femme, pour pouvoir offrir les meilleurs goûters à leurs proches. Vous devriez venir voir. Soudainement, sa femme lui accorda un regard en coin et piqué au vif, Andrew s'approcha à son tour de la fenêtre. Il faisait mine de ne pas s'y intéresser mais à la réalité il espérait retrouver un visage familier et pouvoir jouir de -

Tiberius. Le souffle se perdit vers le passé, les souvenirs qui irradiaient soudainement du palpitant blessé d'Andrew. Face à lui, le Duc de Wellington se trouvait là, observa la rue, avant de monter les marches qui menaient au perron de la maison voisine. C'est un Duc. déclara sa femme, et elle l'observa un temps. Elle savait - évidemment qu'elle savait, comme il se trouvait dans les affaires personnelles de son mari, un ancien portrait de Tiberius de Wellington. Un portrait qui était un cadeau précieux - un cadeau volé par Andrew dans les affaires du Duc alors qu'ils étaient encore à Oxford. Alors elle savait parfaitement qui il était. Il ouvrit la bouche, ne trouva rien à lui répondre, et resta figé quant bien même Tiberius avait disparu chez lui sans un regard dans sa direction. Ce qui ne devait pas être si surprenant - bien que blessant. Pourquoi donc alors qu'il ignorait même que je suis ici ? Vous réfléchissez trop. Laissez le donc s'installer puis vous pourrez aller vous présenter. Il se trouvait là une sagesse dans la voix de sa femme qu'il ne pouvait pas nier.

Il opina, essaya de reprendre contenance et quitta le salon pour trouver une occupation. Mais qu'importe ce qu'il entreprenait, son esprit divaguait systématiquement pour retourner près de son ancien amant. Son premier amour - plutôt - s'il devait être honnête voila ce qu'il pensait vraiment du Duc. Son premier amour c'était si naïf et juvénile. Et si vrai tout à la fois. Il tenta de lire, mais ses yeux ne suivaient les lignes que par habitude sans que les mots ne traversent son esprit. Il quitta la bibliothèque pour rejoindre les chambres, avisant le calme de sa fille et pensant un moment à écrire une lettre à son fils qui était encore à Oxford pour ses études. Il n'arriva cependant à trouver de mots à lui noter et laissa là sa plume et sa feuille. Il rejoignit les cuisines et comme à son habitude trouva de quoi mouler et confectionner un gâteau qu'il mit à cuir sans attendre qu'il soit prêt pour quitter la pièce.
La nuit commençait à tomber, il sentait sa gorge le brûler et sa raison s'envoler. Il quitta la maison pour rejoindre le jardin, la nuit le plongeant dans le calme et la sérénité. La maison d'à côté briller de quelques bougies allumées, et il imagina le Duc quelque part.

Si proche. Et si inaccessible tout à la fois. Il soupira fortement, et mu par les souvenirs douloureux et tendres qui le traversaient, il prit un bâton de bois et frappa contre la balustrade comme il l'aurait fait autrefois. Un code secret, presque imperceptible - comme les coups des oiseaux sur les troncs d'arbre - si ce n'était de son étrange régularité, du rythme qu'il frappait avec un savoir qu'il n'avait pas perdu. A l'époque, il avait mis ce signal au point pour pouvoir se rendre dans la chambre de son amant sans risquer d'être vu. Aujourd'hui, il lui semblait le rappeler encore avec l'espoir qu'il lui réponde. Andrew ? Il sursauta en entendant son nom, murmurer avec cette crainte mêlée d'espoir. Il resta figé, fixant la balustrade comme s'il lui était possible de voir à travers. Tiberius ? Appela-t-il alors, quand le silence fut bien trop long. Il me semblait bien vous avez reconnu, Votre Grâce. Souffla-t-il alors, s'approchant du bois pour parler bas sans pour autant craindre d'être aperçu. Après tout, de ce côté des maisons, qui pourraient les apercevoir ? Sous le couvert de la nuit, le monde leur appartenait. Comme autrefois. Comme cela me rend heureux de vous revoir ! Vous semblez n'avoir pas vieilli depuis notre dernier entrevue. Toujours aussi beau. Mais dites-moi plutôt : comment allez-vous ?